Les générations de patients exposés au distilbène (DES) peinent à engager la responsabilité des laboratoires.
Les conséquences de l’exposition in utero au médicament Distilbène (molécule diethylstilbestrol) ou DEA, ont fait l’objet de décisions de justice illustrant la difficulté pour les victimes de ce perturbateur endocrinien de mettre en cause la responsabilité des laboratoires impliqués dans ce scandale sanitaire.
En France, environ 160 000 enfants ont été exposés au DES avant leur naissance, les fils et filles des femmes traitées par cette molécule supposée prévenir les avortements spontanés (première et deuxième générations).
Un continuum de préjudice variable
Les filles DES nées entre 1940 et 1980, mais surtout entre 1964 et 1980, période de prescription la plus importante, souffrent du fait de cette exposition in utero de pathologies très diverses : anomalies structurales, morphologiques et fonctionnelles du vagin du col, du corps de l’utérus et des trompes diverses, problèmes de fertilité (troubles de l’ovulation, ménopause précoce, etc…), grossesses pathologiques (risque de grossesse extra utérine multiplié par six, risque de fausse-couche tardive multiplié par dix, etc…), cancers du vagin et du col de l’utérus pour une fille DES sur mille.
La troisième génération de victimes
Les chercheurs s’intéressent désormais aux effets de l’exposition à la molécule sur la troisième génération. Ils ont mis en évidence une augmentation d’enfant infirmes moteurs cérébraux, qui peut être lié à un taux plus élevé de naissances prématurées. En effet, un quart des enfants nés de filles DES sont prématurés, ce qui les expose à un risque accru de troubles neurologiques, de handicaps psychomoteurs et de mortalité néonatale. On trouve également une plus grande prévalence de l’atrésie de l’œsophage chez les filles et les garçons ainsi qu’une augmentation des malformations de l’urètre et des cryptorchidies chez les garçons. Selon une publication de la revue Prescrire de juillet 2016, certaines répercussions sont vraisemblablement les conséquences d’effets épi génétiques du DES, c’est-à-dire que le DES aurait une action sur l’expression de certains gènes qui se transmet d’une génération à l’autre.
Des actions judiciaires au résultat incertain
Pourtant, les actions en responsabilité menées par les victimes devant les tribunaux se heurtent en pratique à de très grandes difficultés. En 2009, sur le fondement de l’obligation de vigilance, la Cour de cassation a inversé la charge de la preuve : à partir du moment où les victimes démontrent leur exposition au DES, c’est au laboratoire de démontrer que son produit n’est pas en cause. Mais la tâche des plaignantes n’en est guère facilitée. En effet, pour que la responsabilité des laboratoires UCB Pharma et Novartis puisse être engagée, les filles DES doivent produire les ordonnances prescrivant cette molécule à leur mère ou à défaut des extraits de l’ordonnancier de pharmacie, une attestation du médecin ayant suivi leur mère, une lettre de celui-ci à un confrère précisant la posologie prévue, etc… Des documents parfois impossibles à produire des années après la prise du médicament. Si une décision de première instance a en 2014 fait preuve de nettement plus de souplesse sur ce point, on attend actuellement l’arrêt de la Cour d’appel. Une situation ubuesque qui démontre la difficulté d’engager la responsabilité des laboratoires pour des molécules concernant plusieurs générations de patients.